Lastman la série : Un parcours de combattant
L'AFCA revient sur le parcours de cette série adaptée.
Toutes les brèves : Le monde de l'animation
Rencontre avec Laurent Sarfati, le directeur d'écriture de la série Lastman, dans les locaux du studio Je Suis Bien Content.
Retour sur la mise en place du projet.
Série pour jeunes adultes, Lastman, adaptée de la bande dessinée éponyme de Bastien Vivès, Balak et Michael Sanlaville, a depuis son élaboration suscité une grande vague d’enthousiasme. Après une campagne Kickstarter réussie en août dernier, dévoilant quelques aperçus de la série et confirmant l’engouement du public, celle-ci a été diffusée dès le 22 novembre, à partir de 22h45, sur France 4. L’AFCA est venue à la rencontre de Laurent Sarfati, son directeur d’écriture, dans les locaux du studio Je Suis Bien Content alors que l’équipe finalisait les derniers épisodes fin septembre.
- De la bande dessinée à la série TV animée
Pour tous ceux qui n’ont pas encore entendu parler de cet ovni qu’est Lastman, replaçons avant tout les choses dans leur contexte. Les deux cycles de cette BD, qui compte aujourd’hui neuf tomes, développent à la sauce fantasy l’histoire d’Adrian, jeune élève d’une école d’arts martiaux, et de Richard Aldana, ancien boxeur déchu. Le récit développé par la série prend place dix ans avant les événements de la bande dessinée, et se consacre à la jeunesse de Richard Aldana dans la ville de Paxtown. Il est donc complémentaire de son parent papier et se permet quelques clins d’oeil dans sa direction, notamment autour d’un personnage à découvrir dans la série, ouvrez bien l'oeil !
Lancée en mars 2013 chez Casterman dans sa collection de bandes dessinées de création KSTR, la série connaît un succès rapide en rassemblant des publics de tous horizons : amateurs et amatrices de mangas ou de bande dessinée, adolescent.e.s ou adultes, Lastman intrigue et captive dès les dix premières pages. Forte de son succès français, la BD s’exporte ensuite en Europe, en Corée, au Japon et aux Etats-Unis.
C’est par le biais du producteur Didier Creste (studio Everybody on Deck), que le projet de série animée Lastman voit le jour. Déjà familier du travail de Bastien Vivès sur la bande dessinée Polina dont il achète les droits pour une adaptation live (sortie le 16 novembre dernier en salles), il suggère aux auteurs de transposer la BD sur le petit écran.
Problème : comment, dans un paysage télévisuel quasi entièrement dédié aux séries d’animation jeunesse, adapter un récit adulte tel que Lastman sans trahir l’esprit de la bande dessinée ?
Deux noms surgissent : celui de Jérémie Périn, réalisateur de "DyE - fantasy" et Laurent Sarfati, son co-équipier et scénariste sur plusieurs autres clips et projets dessinés. Du trio originel d’auteurs, seul Balak suivra la production de la série TV pour assurer une cohérence avec la BD. Réalisée en animation 2D, Lastman compte 26 épisodes écrits par une armée de sept scénaristes, habitués, en outre, d’autres séries feuilletonnantes à succès (telles que Les Grandes Grandes Vacances ou Les Mystérieuses Cités d’or).
Les débuts de la série sont prometteurs : peu après la rencontre entre les créateurs, France 4 ouvre un créneau de diffusion (le samedi à 22h) consacré à un public jeune adulte, et entend l’utiliser pour promouvoir des oeuvres françaises. La série bénéficie d’un second coup de projecteur.
La bande dessinée remporte le Prix de la série pour son tome 6 lors du 42e Festival international de la Bande Dessinée d’Angoulême
Elle se voit aussi consacrer une exposition transmédia complète lors de l’édition suivante.
- Des conditions de production périlleuses
Dès la parution du troisième volume de la bande dessinée, l’écriture des scénarios est lancée. “Le workflow est le même que pour une série d’animation pour enfants, mais avec une volonté de qualité d’image et d’exigence similaire à celle d’un long métrage”, indique Franck Ekinci, producteur délégué à Je Suis Bien Content. L’implication du réalisateur Jérémie Perrin dès l’étape du scénario, cruciale, permet de trouver des tours de mise en scène efficaces et de préserver une qualité de dessin supérieure, tout en économisant le plus de temps possible. L’animation de la série se rapproche ainsi d’une animation japonaise, à l’économie, tout en gardant une cohérence stylistique. Quelques plans en particulier nécessitent un travail d’animation plus poussé que d’autres (appelés money shot, ils ont généralement une importance fondamentale dans un épisode).
Les conditions restent difficiles, car avec un budget de 4M d’euros, aucune marge de sécurité n’est possible. “Malgré les moyens déployés, en comptant sur le maximum que pouvait donner l’équipe, ça craquait de tous les côtés” nous révèle Laurent Sarfati. Mais grâce à la cohésion d’une équipe de vétérans, forte d’une longue expérience dans l’animation, et d’un enthousiasme inébranlable, chaque épisode est réalisé avec soin et la qualité toujours assurée. On retrouve au casting bon nombre de personnalités connues telles que la voix du personnage de Nicky Larson, incarnée par Vincent Ropion, ou encore Monsieur Poulpe.
Puis à l’été 2016, plusieurs difficultés s’enchaînent: France 4 change de politique éditoriale ; la fenêtre destinée à accueillir ces nouveaux programmes ado-adultes est remplacée par une fenêtre familiale. Netflix se retire du projet alors que sont déjà terminés 14 épisodes sur 26. Tous les scénarios sont écrits, les décors réalisés, mais il faut financer l’animation des 12 épisodes restants.
L’équipe n’a d’autre choix que de lancer un Kickstarter.
Une campagne de 40 jours est donc lancée - en français, anglais et japonais - avec un fort retour sur internet : plus de 50% de l’objectif initial (75 000€, prix d’un épisode) est atteint en une journée ! A l’issue de la campagne, 183 845€ sont récoltés. A la fin du Kickstarter, six épisodes sont assurés ; d’autres donateurs rejoignent la campagne en cours de route. Les derniers épisodes peuvent se terminer avec le même niveau de qualité.
- Génération Lastman ?
La série sera diffusée six épisodes par six épisodes, chaque mardi du 22 novembre au 13 décembre 2016. Sachant que chaque épisode dure 13 minutes environ et que, public adulte oblige, les diffusions débutent à 22h45, le visionnage de Lastman tient plus du binge watching (terme désignant le fait de regarder tous les épisodes d’une série d’un seul coup) que de la série feuilletonnante classique. Comme le précise Balak sur son compte Twitter : "six épisodes d'un coup, c'est 1h20 de Lastman chaque soir. Comme une quadralogie de longs métrages." De quoi ravir les audiences impatientes ou qui goûtent peu les traditionnels cliffhangers, ces fins ouvertes destinées à créer une forte attente de fin d’épisode.
Pionnière des séries animées françaises pour un public ado-adulte, la série Lastman essuie les plâtres.
L’équipe espère que ce travail ne soit pas vain et encourage à créer une «génération Lastman », qui donnerait envie à ceux qui ont vu la série plus jeunes de se lancer eux aussi dans des projets similaires.
L’ouverture de France Télévision laisse entrevoir de l’espoir pour ce nouveau genre. Malgré une clôture assez rapide du créneau ado-adulte, rappelons qu’une liberté quasiment totale a été accordée aux scénaristes sur le script. Le processus d’adaptation n’a ainsi souffert d’aucune censure, permettant au projet de rester fidèle à l’esprit de la bande dessinée dans son ton débridé et sans tabous. Faisant fi des difficultés rencontrées pendant la production, Lastman sortira donc telle qu’elle avait été rêvée par ses créateurs.
Marie Bailliard, dessinatrice, et Anne Huynh, réalisatrice
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