Présence animée au Festival de Clermont-Ferrand 2016
Par Annie Dissaux.
Toutes les brèves : Le monde de l'animation
- Prix pour le producteur de l'année
- Le relief 3D et le 360 degrés
- Résumé de Uncanny Valley
- Résumés de Ghost Cell
- De Uncanny Valley à Ghost Cell
- Interview de Jérôme Nunes et Paul Wenninger
Prix pour le producteur de l'année
La Procirep a remis lors du festival de Clermont Ferrand 2016 son prix pour le producteur de l’année, décerné une seule fois à une société dans sa carrière. Chaleureusement saluée par ses pairs et par le festival pour son important travail depuis plus de deux décénnies en direction du court-métrage et ses prolongement vers le long, c’est la bien nommée société d’animation parisienne Je suis bien content, représentée par Marc Jousset qui est l’heureuse lauréate 2016 de ce prix.
Le relief 3D et le 360 degrés
Initiative intérressante que celle de l’association Prenez du relief, organisatrice du festival Courant 3D à Angoulême en Charente. L’idée de constituer un programme de courts-métrages d’animation en relief clef en main à l’attention des organismes culturels français et étrangers, dont le très beau film Ghost cell d’Antoine Delacharlery. Une démo petit-déjeuner a été organisée durant le festival de Clermont-Ferrand 2016 en partenariat avec l’école des métiers et une société dédiée au 360°. Les nombreux visiteurs ont été reçus avec Casque Occulus 360°, écrans reliefs et croissants chauds.
Résumé de Uncanny Valley
UNCANNY VALLEY
La guerre parait passée. Ils ont l'air oubliés. Le spectateur semble assister au long et insupportable suicide de deux soldats victimes d’une cascade de crises aigues. Les personnages hurlent en silence la peur panique qui semble les assaillir sous une pluie de lancés de grenades dont on doute de la réalité même. La caméra s'enroule dans l'action telle un serpent. Les tranchées laissent bientôt la place à un univers aseptisé post traumatique. Une extrême violence déséquilibrante est mise en scène, dans laquelle les soldats sont tels des rats de laboratoire pourrissant de l’intérieur au fond de cages désertes qui deviendront musée. Mais le fait de prolonger et d’amplifier l’absurde peur panique provoquée par la violence favorise-t-il la réflexion du spectateur ?
Résumés de Ghost Cell
GHOST CELL
Le bouleversement technologie aurait produit autant de dégâts qu’une guerre mondiale…pour qu’une ville, Paris et son peuple, prisonniers de la toile, sombrent et se désagrègent. Des immeubles auraient un certain air des décombres de Homs ou Beyrouth. Créée par les réseaux ultra connectés, cette toile d’araignée aurait tissé un traumatisme dans chaque cerveau déconstruit par la perte de son intimité… ces technologies économiques auraient vidé de leur sang et de leur naturalité les êtres humains pour les projeter dans une aphonie qui semble évoquer cette phrase : « Y a t-il une vie avant la mort ? »
De Uncanny Valley à Ghost Cell
Assez loin dans la forme de récit du satirique et malicieux Repas dominical de Céline Devaux, court-métrage déjà star de l’année, primé à Bruz, Clermont, puis césarisé en mars 2016,la question des traces de la guerre et de la destruction du mythe occidental taraude manifestement deux des fictions courtes d’animation dont la présence a été remarquée à Clermont Ferrand, Uncanny valley coproduit par les Films de Force majeure, Kabinett ad. Co, KGP Production, avec l’aide de JPL films,et Ghost Cell produit par Autour de Minuit. Au delà de leurs différences, ces deux films me semblent présenter quelques points intéressants à analyser et comparer.
Deux points de vue, de l’enveloppe extérieure vers les manifestations intérieures.
Ils dépeignent tout deux une situation post-apocalyptique, accompagnée des sédiments d’un possible après-guerre ou cataclysme semblable, dont les stigmates auraient blessé et transformé le réel. Bouleversement intérieur du système nerveux humain dans Uncanny valley, métamorphose extérieure sous la forme d’une pétrification filandreuse d’un corpus de mégapole imaginaire dans Ghost Cell.
Dans un cas une proximité étouffante, dans l’autre une certaine distance, deux dramaturgies contrastées.
Les deux films expriment des questions de fond et de forme intéressants à mettre en regard. Une action très narrative et agitée dans l’un des cas, un regard plus contemplatif sur un monde transfiguré, statufié bien qu’il bouge encore, dans l’autre. Les réalisateurs optent pour des choix formels éloignés, dans un cas l’utilisation de la gestuelle chorégraphique d’acteurs réels pixilés, dans l’autre un traitement étonnament organique de la 3D et du relief. Leurs esthétiques, par les multiples points de vue mobiles et leur système de représentation visuel proche de la science-fiction, évoqueraient presque deux libres interprétations de la culture du serious game.
L’engouement du public, lorsqu’il y a accès, pour le film court animé, tient souvent à la fascination exercée par sa mystérieuse fabrication. L’animation non industrielle, éternelle galerie de prototypes, dispose de cette spécificité matérielle et organique : combiner à l’envie mouvements, rythmes, textures et univers formels. Par l’expression de ces composantes, l’animation dispose d’un certain avantage qui la distingue au sein du répertoire de l’émotionnel cinématographique. Dans ces deux cas en particulier, deux formes visuelles irréelles et mouvantes d’une évidente virtuosité dégagent une émotion très fine, particulière, à la façon d’un rêve, qui donne au cinéma d’animation son étrange supériorité sur le cinéma d’images dites « réelles ».
Avec ou sans message, la sage distance poétique opérée par le réalisateur de Ghost Cell sur son beau paysage urbain décérébré composé de particules de poussière et de peuples statufiés s’oppose vigoureusement au point de vue lancinant et proche, vertigineux et traumatique qui semble vouloir forcer l’identification du spectateur dans Uncanny valley. Là ou l’un des films semble raconter de façon ouverte et sans jugement, « voyez ce que les hommes ont fait de leur vie et du monde », l’autre, dans son écriture, semble amplifier une sensation obsessionnelle de victimisation presque répétitive et sans autre objet qu’elle même. On pourrait conclure en supposant que certains spectateurs aiment vraisemblablement être placés dans l’une ou l’autre de ses postures que des auteurs leurs réservent.
Annie Dissaux
Interview de Jérôme Nunes et Paul Wenninger
Annie Dissaux : J’aimerai que nous parlions de la violence du film et de sa tension dramatique, que j’ai trouvées difficiles à supporter, tout en reconnaissant la virtuosité du travail d'animation dont j'ai aimé la technique, assez mystérieuse, et notamment les mouvements de caméra, magnifiquement réalisés. Pouvez-vous parler également du contraste entre l’aspect saccadé de la pixilation, qui n'est jamais fluide, et des mouvements de caméra ?
Paul Wenninger : Je n'aime pas la violence non plus. Il m’a semblé important de traiter la première guerre moderne qui est aussi l'une des premières guerres d'images, telles que l’on en voit aujourd'hui, et de restituer sa violence. Dans ce conflit qui a fait 70 millions de morts, beaucoup de gens se sont engagés pour des idéaux nationalistes. Je me souviens du récit de mon arrière grand-père, jeune homme, totalement seul, tel de la chair à canon, sans eau potable et qui a dû fuir la guerre. Traduire ce ressenti des corps dans la violence et le froid est l’objet du film.
Sur le plan technique, des archives de la première guerre sont intégrées dans le film. Pour l'animation, nous avons construit une grue en motion control pour l’appareil photo numérique avec une tête amovible qui comporte six axes de translation et de rotation. Ce dispositif de près de 600 kg a été installé au dessus du décor de tranchées reconstitué en studio à Vienne.
Annie Dissaux : Ce type de matériel n'est pas très courant en animation
Jérôme Nunes, producteur : C'est un prototype que Paul a dessiné et conçu avec son équipe artistique pour son précédent film Trespas et qu’ils ont continué ici à développer. La danse de la caméra est chorégraphiée de façon fluide, contrairement à l’animation des soldats.
Paul Wenninger : Il s'agit ici de la danse de l'œil du spectateur. Ce point de vue m'intéresse, je souhaite proposer une vision moderne d’un conflit ancien. Mon approche chorégraphique est inspirée par l’utilisation dans les guerres modernes de drones légers et rapides pour capter des images. Paul Virilio, dans son livre « les horizons négatifs » traite de la relation entre la rapidité et la mobilité en parallèle avec l’histoire de la guerre. Ce livre m’a influencé lors du développement du projet.
Annie Dissaux : Quel est le lien entre la pixilation et le mouvement chorégraphique ?
Paul Wenninger : Les acteurs sont des danseurs ; ils peuvent contrôler leur corps avec précision sur de longues durées, car la pixilation exige du temps. J’articule ensemble les chorégraphies des danseurs, des décors, et de la caméra.
Annie Dissaux : le travail très original du film se situe vraiment pour moi dans cette écriture. Vous avez été vous-même danseur pour des chorégraphes reconnus. Comment vient l’envie de faire de l’animation quand on est danseur ?
Paul Wenninger : je travaille toujours dans la danse contemporaine. J’ai débuté avec Eric Howkings à New-York, puis travaillé en France au centre chorégraphique de Rennes avec Catherine Diverres et Mathilde Monnier. En 2000 j’ai monté à Vienne ma propre compagnie. Sur scène, le temps réel partagé avec le public est extrêmement lent et lourd ; il passe doucement. En 2010, en travaillant sur une série d’œuvres pour la scène, l’idée de l’animation m’est apparue avec l’envie de questionner la relation entre les mouvements des corps et des objets.